Textes

Texte d’Isabelle de Maison Rouge, critique et historienne de l’art, le 31 janvier 2019

à l’occasion de l’exposition personnelle STRATES – PARTITION DU VIDE – , La Capsule, Le Bourget

Infusion du corps dans le paysage1

La question du paysage et du rapport de l’homme à l’espace qui l’environne traverse le travail d’Harold Guérin de part en part. Par cette démarche il s’inscrit dans la poursuite de l’Histoire de l’art qui dès ses débuts exprime les liens qu’entretient l’être humain avec la nature. Le paysage a d’abord servi d’environnement narratif, symbolique ou ornemental aux artistes. Mais depuis les années 60 toute description du monde n’implique plus seulement la notion de copie du réel. L’artiste dorénavant, à l’aide d’investigations, de mise en scène et de récits amène à penser et réfléchir sur les territoires naturels comme artificiels qui nous entourent et dans lesquels nous trouvons place. En cela, bien loin d’être le seul lieu d’une « représentation du monde », l’art peut revendiquer des capacités singulières pour questionner et investiguer les modifications internes du paysage et les mutations que l’homme lui fait subir à partir de l’Anthropocène*.

Engagé dans une démarche d’explorateur, d’observateur, de chercheur qui n’est pas dénué de sens critique, Harold Guérin s’empare des problématiques géographiques pour comprendre le monde et agir sur lui. Il prend connaissance avec le terrain qui devient son objet d’étude et part, accompagné de son appareil photo. Il va photographier à la chambre ce qui lui permet de travailler à un autre rythme, prendre le temps de la réflexion, de la contemplation et de l’indécision.. Dans une manière de décroissance photographique, il assume le plaisir de la lenteur.

L’apprentissage de la temporisation, il l’acquiert également dans son contact avec le paysage et sa marche à l’intérieur de son étendue qui n’a rien d’un geste anodin. Ce qui intéresse l’artiste est de perturber la trajectoire du regard et la perception qui en découle. Ainsi dans Percée, il nous offre une véritable perforation du paysage creusant une perspective dans ce sentier de montage tout à fait différente de ce qui existe sur le site, comme un vortex qui aspire la vue. Avec Traffic Twist Around il vrille la cartographie d’un lieu évoquant ainsi la vitesse de déplacement d’une agglomération à une autre par une contraction de l’espace, les formes en relief qui en découlent peuvent faire penser également aux twists vues par satellites des cyclones et événements météorologiques qui agissent sur certains endroits du globe. Focusoffre au spectateur d’assimiler visuellement un objectif d’appareil photo à une carotte géologique. Harold Guérin par ses installations fait se superposer ainsi travail photographique et vision cartographique.

La résidence que l’artiste a réalisé à la Capsule lui a permis d’approfondir deux projets spécifiques Perspective du repliet Silence Exposure qui tous les deux proposent de façon bien différente une réflexion sur la mutation du paysage. Il réalise un grand écart entre les prises en vue d’ensembles urbains très denses où une concentration d’immeubles bouche l’horizon et les grandes zones vides éloignées de toute habitation et où la pollution lumineuse comme sonore est moindre.

Dans la première série il reproduit ses images urbaines sur un papier qu’il va ensuite replier pour reconstituer le fameux soufflet de l’appareil photo et produire ainsi une vision confinée de ce regroupement architectural. Cet appareil qu’il utilise avec son soufflet étanche à la lumière autorise les mouvements mais nécessite un temps d’exposition à la lumière qui varie selon le sujet que l’artiste décide de traiter. Dans le paysage rural et nocturne, Harold Guérin va l’étirer à l’infini afin d’en bouleverser les perceptions.

Ainsi dans la deuxième série il enregistre le déplacement de la lune durant toute une nuit dans un paysage totalement isolé et quasi silencieux, toutefois il interrompt la prise de vue chaque fois que se fait entendre un bruit polluant. Le résultat qui s’enregistre pendant une nuit entière et ne produit pourtant qu’une seule photographie, donne une vision syncopée du déplacement de l’astre qui dessine un étrange message morse dans l’espace noir profond du ciel nocturne. Les noirs dans la trajectoire lumineuse rendent visibles l’irruption du son (de moteur de voiture ou d’avion de ligne) dans le silence qu’ils percent et perturbent en venant hacher la courbe qui apparaît visuellement interrompue.

Le temps, sa durée et son inscription sur l’espace sont les filigranes qui nous permettent de nous repérer dans l’œuvre d’Harold Guérin et lui confèrent la fonction de métadonnées.

*l’Anthropocène est un terme de géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre.
1Ce titre se réfère à l’ouvrage de Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, Flammarion 2011


Texte de Juliette Fontaine, commissaire d’exposition, le 14 mars 2020

à l’occasion de l’exposition collective LA VIE SILENCIEUSE, au CAPA, Centre d’Arts Plastiques d’Aubervilliers
avec Maude Maris, Kristina Shishkova et Stéphane Thidet

Quand il ne fait pas de photographie à la chambre, Harold Guérin dessine sur du papier de verre ou avec de la poussière de terre frottée sur du papier. Aussi, il fabrique des objets à partir de matériaux issus de paysages qu’il a arpentés tels que le grès rose des Vosges ou des prélèvements de terre. Maude Maris conçoit en peinture des espaces artificiels à partir d’agencement d’objets qu’elle a créés dans son atelier et qu’elle photographie dans de petites mises en scène. Kristina Shishkova conçoit, souvent en grand format, des paysages à partir de la longue observation d’objets – notamment de pierres – et de contemplation de paysages dont la temporalité s’en trouve ainsi suspendue. Quand il ne crée pas d’installations, parfois de grande envergure mais toujours à l’échelle de l’espace dans lequel il intervient, Stéphane Thidet agence dans une poétique subtile des matériaux naturels avec des objets industriels. Dans leur rapport aux choses et dans leur pratique, ces quatre artistes reconsidèrent à leur manière la possibilité d’un réenchantement à partir d’extraits et de prélèvements du monde.

La démarche d’Harold Guérin est étroitement liée à sa déambulation dans les paysages. Il y a chez cet artiste un fil tendu entre exploration, observation et recherche. Le temps de la pensée se noue au temps de la promenade dans les courbes généreuses de la nature, la pensée s’ajustant au déplacement du corps dans ses multiples teintes et textures. De cette attitude qui semble énoncer les liens de l’homme avec le monde naturel, persiste peut-être une trace du Land Art.
À l’instar d’une errance un tantinet élégiaque, la posture romantique est nourricière et inspirante. La nature demeure une égérie, et devient le corps et la matière même de l’œuvre. Le déploiement des pas sur le relief du monde éveille les rêves, peut-être même le désir de créer. Les chemins du paysage sillonné évoluent vers des mondes possibles malgré leurs modifications, leurs inéluctables mutations, leur vulnérabilité déterminée par les actions des hommes. L’artiste arpente les strates des paysages et dans cette approche contemplative, il élabore des idées, il dessine ce qui pourra advenir dans le processus de son travail, déployant souvent des travaux sériels qui pourraient être des sortes d’analogies de ces migrations. Les alluvions naturels s’agrègent aux assises de la pensée en développant à la fois des problématiques géologiques, géographiques, cartographiques, et plus en sourdine sans être négligées, des questions écologiques. Infusé de ses multiples marches, imprégné de silence, de lenteur et de solitude, le corps mettra bientôt en mouvement le geste qui insufflera l’œuvre à venir.
Si on trouve une dimension conceptuelle dans le travail d’Harold Guérin, il demeure d’une généreuse simplicité, d’une claire accessibilité. Il interroge sans présomption. Et il est avant tout poétique, ne serait-ce qu’en transmuant des objets en sculptures, estompant avec subtilité l’écart entre ces deux statuts. Ses Focus sont un exemple limpide de cette démarche. Il s’agit d’une série de téléobjectifs façonnés à l’aide de strates accumulées de différentes terres. Ils deviennent alors au delà de leur statut d’outil photographique, des échantillons du paysage tel des cylindres retirés du sol pour obtenir un prélèvement géologique. « Un parallèle formel est ainsi établi entre le processus de captation d’image photographique et la matérialité du paysage. » Dans la série de ses dessins Frictions, la poussière de terres issue de différents sites frictionnée à la main sur du papier font apparaitre des schémas de phénomènes géologiques. « À leur tour, les couches sédimentaires de la croûte terrestre se brisent et se frottent les unes contre les autres ». La pelle de l’œuvre To dig, dug, dug, arbore la noblesse magnifique de son matériau, le grès rose dont la douceur évoque la fragilité d’une peau infantile. Le statut d’objet est parfois détourné à la manière presque surréaliste, où l’objet usuel est promu à la dignité d’une œuvre d’art. L’artiste flirte avec l’âme duchampienne en l’abordant dans un miroir inversé. Ce qui est en effet important, c’est la reconstruction d’un objet avec un matériau choisi qui ne sera pas celui de l’objet ready-made. Un déplacement s’est opéré par un jeu (sérieux) d’appropriation.

Lire le texte complet sur le Point Contemporain.


 Texte de Pauline Lisowski, publié sur BOUM BANG, Paris le 26 mars 2017

à l’occasion du solo show au salon DDessin 2017, atelier Richelieu, Paris

Harold Guérin : captation, représentation des mouvements et mesure du paysage

Harold Guérin s’intéresse à nos façons de représenter le territoire, de le saisir et de se l’approprier. Il interroge les relations des individus au paysage, en vue d’un voyage et d’y projeter son imagination. Par le biais du dessin, de la sculpture, de la vidéo et de l’installation, il s’attache à jouer sur des troubles de la perception. Dans ses œuvres, cartes, niveaux à bulle, appareils photo, instruments de mesure et de représentation, sont alors détournés de leur fonction première. Les écarts se réduisent entre l’outil de mesure, l’image d’un territoire et l’expérience physique d’un lieu. Différentes temporalités sont au cœur de son travail, d’une action d’un objet à la lenteur d’un processus de prélèvement de matière issues de divers contextes, milieux en transition, paysages parcourus; l’artiste cherche à faire surgir une certaine mémoire des paysages.

Déplacements et voyages sont pour lui les points de départ d’inventions de protocoles. Il crée ses outils de prélèvement de traces, de matières, tels des fragments, témoignages d’un trajet. L’œuvre restitue la mémoire d’un passage sur le terrain. Harold Guérin affirme, dans ce sens, « dessiner avec le parcours ». Ainsi, « Summer trip » se présente comme une série de dessins qui nécessitent un travail du regard. Si à première vue, on n’y voit que du vide, s’approchant, on découvre une série d’éléments microscopiques. Ceux-ci sont en réalité les fines particules captées lors d’un voyage en voiture. Les éléments naturels endémiques se révèlent en se percutant sur le papier. Ils composent une sorte de paysage cosmique.Harold Guérin se mesure aussi à l’architecture des lieux où il intervient pour exposer. Réalisée à l’occasion de son exposition « Tropismes », à l’Angle Espace d’art contemporain« Evolvo mensurae », se fondait dans l’espace et le découpait: des mètres rubans insérés dans des volutes, éléments structurels et de décoration, descendaient le long d’un mur jusqu’au sol. Cette œuvre, redessinait le lieu par la mesure, créait des passages, des sortes d’obstacles pour le visiteur.

De plus, dans ses œuvres, l’outil de mesure ou de captation du paysage est mis à l’épreuve, modifié, son aspect conceptuel disparaît. Dans la sculpture « Focus », l’objet devient fragment d’un lieu exploré. L’artiste opère un va et vient entre les différentes façons de chercher à nous repérer, à nous situer et à comprendre un lieu. L’appareil photo se retrouve dans plusieurs de ses œuvres. Objet de captation du réel, il véhicule nos envies constantes de vouloir conserver, ramener un fragment d’un lieu exploré. Dans sa pièce « Landslide », celui-ci apparaît par des trépieds, devenus éléments de composition d’une modélisation d’un éboulement de terrain.

De même, le choix du matériau l’amène à suggérer l’instabilité de nos villes. Il exploite les caractéristiques du papier de verre pour proposer de nouvelles manières de voir les transformations, la construction. Au salon Ddessin, la série « Abrasives », donne à voir à la fois comme des nuages ou d’autres phénomènes naturels. Retirant progressivement la matière, l’artiste fait naître une image troublante, un potentiel paysage où des formes évidées suggèrent du bâti… Cette œuvre est née d’une attention portée à la destruction de bâtiments modernes. Par sa technique de sculpture dans la matière du papier, Harold Guérin met en évidence un certain échec de l’architecture, celle-ci devient poussière. Ses œuvres laissent un champ libre d’interprétation et réagissent au contact de la lumière, incitant le spectateur à se déplacer pour y voir d’autres choses.

Dans son œuvre « Magnitude », le papier de verre était ôté de son support pour produire un effet de perturbation de l’image. Sur des ponceuses électriques, des vues de chantier de construction se révèlent au grès de l’attention du spectateur. L’objet s’active en sa présence, le surprend, l’arrête et l’incite à prendre le temps d’essayer de saisir ce qui se présente à sa vue. Mis en mouvement, il est ainsi moteur de brouillement de la photographie.

Ainsi, les œuvres d’Harold Guérin sont dans une sorte d’entre-deux, dans une forme d’instabilité. Au fond, celles-ci révèlent un certain état de notre société actuelle, des territoires qui se modifient en permanence, en proie au renouvellement trop rapide, à une construction qui devient de plus en plus précaire. par ses interventions sur l’image, l’artiste met en évidence nos façons de nous approprier le territoire.


Text by Julie Diebold

During Harold Guérin’s residency in MeetFactory, Prague (May, 2014)

Harold Guérin’s Practice : Where Speed, Technology and Nature Collide

Not everyone experiences or values landscape the same way. While changes occur repeatedly due to both natural and human disasters, we strive to make nature and our environment in our own likeness. Las Vegas and Dubai were built out of nothing and yet have significantly changed the natural scenery. These alterations greatly demonstrate the limitless greed of humankind as well as our endeavor to change the biological fabric of the Earth. Yet, without the advent of technology and all the inventions that followed, there would be no high-speed trains, no cars, and no airplanes: the world would not be as connected as it is now. Distance has changed the way we value time and space. The world has become a gigantic database: everything is measurable and everything is reachable. Google Earth, or even a simple GPS tracker can play a significant role in opening new ways of looking at the world although they are mere simplifications of reality. This is exactly what French artist Harold Guerin wants to represent. With subtlety and precision he brings the impact of progress into the viewer’s eyes. Guerin, whose body of work investigates landscape, technology and urban planning, wants us to grasp what we are often inattentive to. His method is rooted in the extraction of natural elements and in their confrontation with human creations.

Harold’s visual generosity is reminiscent to that of Giuseppe Penone, an emblematic figure of the Arte Povera. Both artists share the same enthusiasm for rethinking nature and stimulating the viewer visually while establishing a relationship between man and nature. In his latest work “Focus” he combines various substances, extracted from the soil, that were shaped beforehand in a lens. The work reminisces a geological core freshly extracted, though larger. While a zoom is used for increasing the size of an object, the geological core is of considerable dimension and represents an enlarged version of both the lens and the components that make up the Earth.

In one of his previous works, Harold arranged numerous tripods holding rock fragments as to reproduce a landslide. This installation bears the name “Landslide”, but yet the artwork is motionless and illustrates the capture of an unpredictable phenomenon rarely seen by human’s eyes. Here, the rock stones find stability onto the tripod, which is generally used to stabilize an image.

Positioned at the interface of conceptual and land art, Harold’s approach does not only tackle the perception and transformation of landscape but his work centers also upon the formidableness of nature. With “Gulf Stream”, Harold exposes both nature’s power and vulnerability. The Gulf Stream here is made of thin blown glass connected to the heating’s pipes. The water that runs through it will inevitably break the fragile tube. The artist raises concerns about our overconsumption of energy and associates it with the Gulf Stream. The latter is a powerful current, which regulates temperature, which will sooner or later disappear and the consequences might be catastrophic.

While in Prague for his residency at MeetFactory, Harold will drive around the Czech Republic using man-made infrastructures with several layers of earth on the roof of his car. His aim is to understand how the transformation of landscape comes about. Rain, sun, and tiny insects, along with the power of speed will collide with the earth giving it a distinctive form.


Texte de Pedro Morais, le 6 février 2013

À l’occasion de l’exposition personnelle « Frozen Dynamics » à la galerie Histoire de l’Oeil, Marseille

Le lendemain même de l’ouragan Sandy qui a frappé New York l’automne dernier, Harold Guérin y débarquait pour une résidence de travail. La ville-symbole de l’urbanité, forêt de gratte-ciels où il ne reste pas un seul espace qui n’ait pas été investi, construit ou transformé, se voyait confrontée à l’accident climatique, imprévisible et immaîtrisable. Le trouble s’installe alors jusque dans les quartiers des galeries, inondés et sans électricité. Les white cubes de ces dernières, symptomatiques du déni de l’environnent, se trouvaient ainsi assaillis par un invité inattendu. Intempestif, ordurier et envahissant. A l’Histoire de l’Oeil, un glissement de terrain rocailleux crée l’effet d’une avalanche entre les deux salles. L’accident semble toutefois figé dans un arrêt sur image: chaque fragment de roche est fixé sur un trépied d’appareil photo dont l’ensemble récrée un éboulement intempestif de pierres, instant rarement documenté par l’image. Le trépied, d’ordinaire utilisé pour stabiliser l’appareil photo et figer l’image, sert ici à créer la dynamique et l’instabilité d’un accident. Harold Guérin met en jeu cette impossibilité de figer les phénomènes éphémères et imprévisibles de la nature, confrontée aux outils d’enregistrement, calcul et maîtrise développés par l’humain dans une tentative de l’organiser et rationaliser. Les outils de mesure du relief topographique trouvent aussi un écho dans ‘Ground Level’, la reproduction d’un niveau à bulle à partir d’un moulage en céramique. Il est cependant inutilisable car, pendant sa fabrication, l’artiste a gardé l’empreinte de l’objet pressé au sol, résultant dans un paysage accidenté en miniature. Plutôt qu’un outil de stabilité, ce niveau intègre ce qu’il est censé contrarier, l’irrégularité et l’inconstance des données du monde physique. Le rapport au paysage s’établit alors, non seulement par le biais d’outils et protocoles de mesure et apprivoisement, mais, d’une façon très concrète, à travers sa miniaturisation et la tentative de figer l’espace-temps, suggérée par le titre de l’exposition ‘Frozen Dynamics’. Ce rapport entre paysage et mouvement est encore plus perceptible dans ‘Summer Trip’ qui déplace le regard des sols et la topographie, vers l’air et le climat. Si un premier regard pourrait confondre cette série à des dessins, il s’agit pourtant du résultat d’une expérience où l’artiste part en voyage à travers l’Europe, après avoir attaché une bande de papier sur le front de sa voiture. De Suède jusqu’à Nancy en passant par Hambourg, ces papiers à gravure captent les particules dans l’air, les poils, les poussières, les graines, les moucherons et le sang de moustiques. Il pourrait y être question d’une série de dessins sous influence de Cy Twombly, mais l’artiste les transforme en capteurs d’accidents minuscules, en révélateurs du temps et plaques sensibles pour enregistrer la traversé d’un paysage en mouvement. Harold Guérin n’oppose pas, évidemment, les éléments naturels et industriels. Il confronte et hybride ses matériaux, associant des outils techniques (voiture, trépied, niveau) à des infrastructures, des outils de vision et de construction, servant à cadrer le paysage (les routes, la photo, l’architecture), pour ensuite mieux faire résonner ces perturbations.


Texte de Didier Damiani

À l’occasion de la triennale Jeune Création « Moving Worlds »(2010), Luxembourg

Oeuvre: Sous la route, sculpture et vidéo, 2009.

Vulnérabilité entropique est certainement la notion qui caractérise le mieux les oeuvres d’Harold Guérin. Une instabilité de l’ordre interne du paysage. Pour vulgariser, une dégradation physique, une usure survenue, un accident environnemental. Pas nécessairement négatif et définitivement périssable. De l’ordre de l’éphémère reconstructible. Du temporaire durable. Remède post-catastophe, au moment où il est trop tard pour faire marche arrière. L’observateur de la nature remarque ce qui se passe et en interprète les mutations internes.Sous la route, pour parodier le célèbre roman de la génération beatnik incarné par Jack Kerouac, On the Road, 1957, et qui allait aboutir à l’ère hippie. Sans nostalgie, le voyage se déroule ici sous et sans le bitume goudronné de la chaussée. La terre en friche, mise à nu comme la mariée par les nouvelles infrastructures en projet de l’urbanisme en constante expansion. Elle accueille dans toute sa plasticité, la machine en furie lancée à toute vitesse sur ses plates-bandes, imprimant sa marque au plus profond. Une dromosphère dirait Paul Virilio parlant de l’alliance entre technologie et vitesse. Un viol technique, accepté, la roche et les racines s’enroulant autour de la roue, inventée vers 3.500 avant J.C., remontant le temps pour devenir l’oeuvre présentée, une sculpture fossilisée par la brutalité de cette rencontre improbable, un objet devenu a-fonctionnel. Un artefact fonctionnel devenu hybride par l’alliage de ses matériaux. Tout cela, en l’espace d’1 minute et 5 secondes sous les yeux du chef d’orchestre, initiateur de ce désastre. Désastre pour qui ? La machine ou la terre ?


Texte de Marco Godinho (extraits)

À l’occasion du Prix d’art / Kunstpreis Robert Schuman. 2009, Metz

(…) «Harold Guérin conçoit un univers qui offre des possibilités multiples pour dessiner son propre parcours. Il travaille avec des éléments comme la neige, l’eau, le sol : à chaque fois ces matériaux sont en attente, disponible pour recevoir l’intervention de l’artiste. Cette attente apparente contraste avec notre monde en pleine ébullition. Le spectateur doit prendre le temps et devient ainsi à son tour responsable de sa propre interprétation. Ces installations définissent des objets fonctionnels et identifiables qui basculent de sens quand on découvre leur nature secondaire, par des détournements que l’artiste insère subtilement avec élégance. la dimension temporelle à l’échelle de l’homme intervient en filigrane pour rendre essentiels les liens et les interconnexions entre les différents objets. H. Guérin transforme ces objets en leur donnant un statut de sculpture, qui attirent plus qu’ils ne repoussent et devenant ainsi idée portent inévitablement une dimension conceptuelle intense. Comme une matière vivante ils évoluent dans le temps et se définissent entre le réel d’un présent aux contours fluides et l’illusion d’un désir futur imprédictible.» (…)
«Harold Guérin aime nous surprendre par des gestes presque invisibles qui, dans une première lecture sensiblement poétique, nous livrent des messages aux contours critiques et universels bien ancrés dans notre monde en pleine mutation.»


Article publié sur You-Ads / inspirations le 15 février 2012

Harold Guérin : Autour du relief 

Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Nancy, Harold Guérin signe des installations et des performances où le lieu est cité mais disparait au profit du détail, de l’échantillon ou d’une représentation à un instant saisi au vol. Paysages en mouvement insufflé par la vibration d’un outil de mutation (Magnitude), niveau à bulles restituant les variations du sol (Ground Level) ou encore bornes kilométriques transposées en sculptures (Point K), tous les objets de Harold Guérin disent, racontent et parcourent les terrains, les lieux, les endroits au cœur de dispositifs épurés, auto-suffisants et d’une grande sensibilité. Le sens et la symbolique de chaque instrument et médium trouvent une nouvelle définition et placent le spectateur dans le rôle d’un voyageur sur les traces d’un nouveau réel.

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